L’été dernier, en plein cœur du mois d’août, les médias belges ont alerté sur la prolifération de diplômes d’odontologie délivrés par certaines structures, généralement privées, au sein de l’Union européenne. Or, ces diplômes, en vertu de la directive européenne sur les qualifications professionnelles (1), sont automatiquement reconnus au sein de toute l’UE, autorisant, par conséquence, leurs titulaires à exercer sans plus de formalités dans le pays européen de leur choix… « Le contenu de la formation dispensée dans ce type de structure ne fait l’objet d’aucun contrôle, déplore Michèle Aerden qui, jusqu’il y a quelques jours encore, était Secrétaire générale de la Chambre de médecine dentaire (CMD), l’organisation professionnelle représentative des dentistes francophones et germanophones de Belgique. Si nous ne remettons pas en cause le volet théorique de la formation, nous sommes inquiets de la qualité du volet pratique proposé aux étudiants. »
La Belgique condamnée par la CJUE
Et l’inquiétude grandit. « En Belgique, une fois leur diplôme en poche à l’issue de leur cinquième année, les étudiants en odontologie ont l’obligation d’effectuer une sixième année auprès d’un ou de plusieurs maîtres de stage, dans le but de parachever leur formation pratique et de préparer leur installation », resitue Michèle Aerden, qui a par ailleurs présidé la FDI de 2005 à 2007. Cette année complémentaire se compose de 250 heures destinées à apprendre à gérer un cabinet dentaire ainsi que de minimum 1 250 heures de clinique. Ce n’est qu’à l’issue de cette année qu’ils peuvent obtenir un agrément, s’installer et bénéficier d’un numéro INAMI (2). « L’État belge imposait également cette année de stageaux praticiens titulaires d’un diplôme de l’UE. Or, il a, pour cela, été condamné par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), obligeant les autorités à lever cette obligation à compter du 1er janvier 2024. Ce qui signifie que désormais, les praticiens disposant d’un diplôme obtenu dans l’UE pourront exercer directement sur notre territoire et bénéficier d’un numéro INAMI. Seul un test– léger – de langue leur sera demandé. Cela nous préoccupe au sein de la CMD, car ces dernières années, plusieurs maîtres de stage nous ont signalé les lacunes de certains stagiaires issus de ces fameuses formations privées : ils ne savent pas poser de tenons, réaliser de traitements canalaires… Ils n’ont, pour certains, jamais réalisé d’actes sur des patients… »
Des formations en français et anglais
La CMD a, « dès 2020 », averti le ministère de la Santé et le ministère de l’Enseignement supérieur. Et continue sans relâche. Frank Vandenbroucke, ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique, a d’ailleurs récemment contacté les autorités roumaines afin de savoir comment elles contrôlaient l’authenticité des diplômes d’odontologie, par exemple. En effet, à l’heure actuelle, « des formations en odontologie sont proposées en français en Roumanie ou encore, en anglais à Malte, en Lituanie, en Italie, en Espagne, au Portugal…», relève Michèle Aerden. Les étudiants qui s’y inscrivent sont des Européens qui n’ont pas réussi le concours d’entrée dans leur pays d’origine, par exemple, ou des non-Européens qui espèrent de meilleures conditions de vie et d’exercice au sein de l’UE. Et « certains témoignages que nous avons recueillis suggèrent que leurs conditions d’accueil et d’apprentissage sont parfois déplorables », regrette Mme Aerden.
Adapter la directive « Qualifications »
Le sujet reste toutefois complexe à aborder : « Fermer des structures n’empêcherait pas que d’autres rouvrent dans la foulée, dans le même pays ou dans les pays voisins », poursuit-elle, et d’autre part, aux yeux des autorités, l’arrivée de nouveaux diplômés répond à certains besoins de soins face à l’essor de zones médicalement sous-dotées en Europe. « Mais il est du devoir des associations professionnelles de médecine dentaire d’attirer l’attention, sans stigmatiser des pays ou des universités, sur le risque de mise en danger des patients si des lacunes persistent dans la formation de certains praticiens », insiste-t-elle. L’idée serait donc de renforcer la directive « Qualifications professionnelles ». « Depuis 2013, un minimum de 5 000 heures de formation est exigé pour obtenir la reconnaissance des diplômes d’odontologie partout en Europe. Pour aller plus loin, nous proposons que soit fixé, en prime, un nombre minimum d’heures dédiées à la pratique clinique et que soient détaillés les actes que les futurs praticiens doivent avoir réalisés et maîtrisés, dans toutes les disciplines de l’odontologie. Chacun d’eux doit être associé à un certain nombre de crédits ECTS. »
Le CED en première ligne
La proposition, appuyée par la CMD comme par les CDF, fait l’unanimité au sein du Conseil des dentistes européens (CED), qui la défendra auprès des institutions européennes. Et, justement, la mise à jour de la directive a été annoncée par la Commission européenne pour le premier semestre 2024. « Nous avons d’ores et déjà le soutien de l’Association européenne des étudiants en médecine dentaire (EDSA) ainsi que de la Fédération des autorités compétentes et régulateurs dentaires européens (FEDCAR), conclut Michèle Aerden. L’enjeu est crucial. Il en va de la sécurité de nos patients. J’espère que la révision que nous appelons de nos vœux aboutira rapidement, alors que la Présidence de l’Union européenne est, pour six mois, assurée par la Belgique ! »
Laura Chauveau
(1) Directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013 modifiant la directive2005/36/CE.
(2) L’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) est l’équivalent de la Sécurité sociale française. Un numéro INAMI est indispensable aux chirurgiens-dentistes pour que leurs patients puissent bénéficier d’un remboursement de leurs soins.