Traitement “Curodont™” : régénérer l’émail pour traiter les lésions carieuses initiales

CDF Mag 2130-2131 du 28 août-4 septembre 2025

 
Goly et Haley Abivardi, Suisses, chirurgiens-dentistes et entrepreneures, ont lancé un traitement inédit des lésions carieuses initiales. Baptisé « CurodontTM », il repose sur la régénération de l’émail dentaire. Non encore pris en charge par l’Assurance maladie en France, il est de plus en plus utilisé en Suisse comme outre-Atlantique. En amont des Universités d’été des CDF, auxquelles elles participeront, elles nous en disent plus.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Haley Abivardi : Nous sommes toutes deux chirurgiens-dentistes. Nous avons étudié l’odontologie au sein de l’Université de Zurich, notre ville natale, et travaillons ensemble depuis 30 ans déjà. Dès le début, conscientes de l’importance de la santé bucco-dentaire pour la santé générale, nous avons choisi de nous consacrer à la prise en charge des enfants. Nous avons ainsi ouvert une clinique dentaire pédiatrique publique dans une zone rurale de Suisse, en lien avec les écoles primaires alentours, tout en mettant l’accent sur la prévention. Nous y soignions principalement des enfants issus de familles défavorisées, avec les meilleures technologies disponibles et les standards de soins les plus élevés. Cependant, malgré tous nos efforts, nous ne réussissions pas à enrayer l’apparition de caries. Les raisons étaient multiples : manque de solutions appropriées et efficaces, d’information et de sensibilisation des parents, horaires des cabinets incompatibles avec leur disponibilité, peur du dentiste. 

Comment avez-vous réagi ? 

Goly Abivardi : Nous avons alors imaginé un concept totalement nouveau : un cabinet ouvert chaque jour de 7 h à 21 h, y compris le dimanche, en mode sans rendez-vous, au coeur de la gare centrale de Zurich. L’ambiance n’avait rien à voir avec un cabinet traditionnel : le lieu, ouvert à tous, ressemblait à un monde sous-marin futuriste, pour réduire l’appréhension des patients. Nous avons commencé avec zéro patientèle et un prêt bancaire de 3 millions de francs suisses, alors que nous étions encore dans la vingtaine. Beaucoup nous ont prises pour des folles (sourire)… mais ce fut un succès fulgurant et nous avons rapidement ouvert d’autres centres selon le même modèle et aussi exporté notre propre marque de produits bucco-dentaires à l’étranger, comme à Londres, Tokyo, au Brésil, en Inde, à Moscou ou encore, à Dubaï. 

Comment en êtes-vous venues au monde de la recherche ? 

H.A. : Nous souhaitions des solutions plus efficaces contre les caries, en particulier contre les caries initiales. Comme l’éducation est un premier pilier, nous avons, en parallèle de nos cliniques, dirigé notre propre école d’hygiénistes dentaires, profession reconnue en Suisse comme vous le savez. Pendant de nombreuses années, un tiers des hygiénistes formés en Suisse provenaient de notre établissement. Pour l’éducation des patients, nous avons également mené des campagnes de sensibilisation assez inédites, avec des slogans tels que « Prenez soin de votre sourire, ne le cachez pas » ou « Un sourire peut changer le monde ». Mais malgré cela, nous sentions qu’il manquait quelque chose. Même après l’invention des traitements fluorés il y 60 ans, la carie demeurait la première maladie mondiale non transmissible. Nous avons donc cherché de nouvelles technologies, mené des études cliniques au sein de notre école et de nos cabinets. Puis, un jour, nous avons réussi à traiter la carie de façon non invasive, et à régénérer l’émail de la dent naturellement, sans aucun effet secondaire… Nous avons alors pris une décision radicale. À plus de 50 ans, nous avons tout vendu – nos cliniques, notre école et même une société de produits dentaires que nous avions créée pour lancer une entreprise de R&D entièrement dédiée à cette innovation. 

En quoi consiste cette nouvelle technologie ? 

G.A. : Elle est, en Europe, mise sur le marché depuis 2012 (dispositif médical de classe IIa) sous le nom « Curodont™ ». Concrètement, elle repose sur des peptides qui, apposés sur la dent, pénètrent jusqu’au fond de la carie initiale. Une matrice se forme en quelques secondes, puis utilise les propriétés naturelles de la salive, riche en minéraux, pour reconstituer l’hydroxyapatite depuis la profondeur de la lésion. Son action se poursuit dans le temps pour régénérer l’email à différents degrés suivant l’hygiène bucco-dentaire du patient, similaire à l’émail d’origine. Nous enregistrons, pour cette technique, un taux de réussite clinique supérieur à 90 %, c’est-à-dire un arrêt de la progression de la carie, voire une régression partielle ou complète dans 40 % des cas. Il ne s’agit pas d’un acte préventif, comme la pose de vernis fluoré, mais bien d’un acte thérapeutique, restauratif non invasif, totalement indolore. Il ne nécessite ni équipement lourd, ni anesthésie, ni radio et peut être réalisé par tout omnipraticien. 

Quelles sont ses indications ? 

H.A. : Cette technique est indiquée pour toutes les lésions carieuses non cavitaires. Elle s’appuie sur 25 ans de recherche et 230 publications scientifiques. Aux États-Unis, nous sommes reconnaissantes que Medicaid rembourse déjà cet acte comme une restauration. Au Royaume-Uni, le NHS s’apprête à faire de même. Nous espérons qu’en France, la prise en charge par l’Assurance maladie suivra rapidement. C’est pour cela que nous voulons travailler en étroite collaboration avec la profession dentaire et avons présenté notre solution au Président des CDF, Pierre-Olivier Donnat qui nous soutient dans notre démarche. Nous avons un partenariat avec l’UFSBD et nous travaillons aussi avec le Président de la SFOP. Nous préparons la constitution d’un dossier solide destiné à la Haute autorité de santé (HAS). Nous avons également présenté notre solution lors de différents congrès, comme celui de la Société française d’odontologie pédiatrique, où elle a suscité un grand intérêt. La France s’est dotée d’une stratégie nationale visant les moins de 25 ans pour faire émerger une « génération sans carie » et collaborons avec l’UFSBD et les CDF pour y introduire cette solution qui remplit parfaitement le cahier des charges. Nous sommes convaincues que Curodont™ est une solution majeure pour atteindre cet objectif. 

Est-elle répandue à ce jour ? 

G.A. : Aux États-Unis, près de 10 % des cabinets dentaires l’utilisent. Une cotation spécifique a été créée en 2024 (« Restorative code for Hydroxyapatite regeneration ») et depuis, plus d’1 million de dents ont été traitées grâce à cette technique. Nous sommes aussi fières que les universités l’intègrent progressivement dans leurs programmes, y compris des institutions prestigieuses comme Harvard. En Suisse, l’adoption est également déjà bien avancée. 

Comment les praticiens peuvent-ils se former à cette technique ? 

G.A. : La prise en main est très simple. Une formation en ligne de 20 minutes suffit, accessible via notre site. Une version française est d’ailleurs en préparation. Nous proposons aussi des webinaires, des sessions en présentiel… 

Comment voyez-vous l’avenir de la dentisterie ? 

H.A : Jusqu’ici, la dentisterie était majoritairement chirurgicale et invasive. Nous entrons dans une ère où elle suit l’évolution de la médecine. L’approche non invasive et régénérative participe au changement d’image du chirurgien-dentiste !

Quel protocole d’utilisation au cabinet ?

• Nettoyer, rincer et sécher la dent. 

• Mordancer la surface en utilisant de l’acide phosphorique à 35 % pendant 20 secondes, rincer, sécher légèrement avec des rouleaux de coton. 

• Apposer l’applicateur (une petite éponge imprégnée de solution) sur la lésion. 

• Attendre 5 minutes. Ne pas rincer. 

• Demander au patient de ne pas se rincer, de ne pas manger et de ne pas boire pendant 30 minutes. 

Un applicateur permet de traiter une à deux lésions par patient.

Comment cela se traduira-t-il ?

M.D. : Outre la journée du 15 mai, j’aimerais accentuer nos liens avec le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, l’ADF, les universités, la Maison des Académies de santé, la Fondation des gueules cassées et toutes les institutions qui œuvrent pour l’amélioration de la santé orale, la défense et la promotion de notre profession. Aussi, je souhaite élargir le nombre de membres de l’Académie. Elle compte 76 membres titulaires, 57 membres associés nationaux et étrangers ainsi que des membres d’honneur et honoraires. Or, beaucoup de praticiens souhaitent nous rejoindre et je suis convaincu que plus nous serons nombreux, plus nos échanges seront riches.

Quel est, concrètement, le rôle de l’Académie ?

M.D. : C’est une institution scientifique. Elle contribue à la recherche, l’enseignement et la diffusion des connaissances en chirurgie dentaire, tout en jouant un rôle de conseil auprès des pouvoirs publics. En ce sens, j’aimerais qu’elle travaille sur plusieurs sujets clé cette année et, parmi eux, l’intelligence artificielle. L’IA sera ainsi à l’agenda de la séance officielle de l’Académie du 17 mars, en présence du Pr Julien Cloarec, expert reconnu en ce domaine de l’université Jean Moulin Lyon 3, ainsi que du Pr Maxime Ducret, de la faculté d’odontologie Claude Bernard Lyon 1. Je souhaite que ce sujet soit ensuite approfondi en commissions, pour examiner le potentiel et les limites de l’IA en odontologie, la responsabilité associée, l’éthique. Au-delà, nous prévoyons une séance de travail de nos commissions de législation et d’histoire en avril ainsi qu’une matinée, en octobre, dédiée à l’hypnose avec le Pr Vianney Descroix, président de la Conférence des doyens d’odontologie. La séance solennelle en novembre sera consacrée à l’érosion dentaire en présence notamment du Dr Gil Tirlet, chirurgien-dentiste, et d’un médecin nutritionniste. C’est un vrai problème de santé publique, de plus en plus fréquent chez les jeunes. 

Au quotidien, comment fonctionne-t-elle ?

M.D. : Indépendamment des réunions du bureau ou du conseil d’administration, les membres de l’Académie, bénévoles, s’investissent dans divers groupes de travail et commissions spécifiques : la commission « hospitalo-universitaire, de la recherche scientifique et clinique », « d’histoire », « de terminologie » ou encore, « des prix » (2)… Pour ma part, je participe à la commission de législation ainsi qu’à celle de l’exercice professionnel. Nous nous réunissons, au sein de chacune d’elles, en moyenne trois à quatre fois par an et, de plus en plus, en vidéoconférence, pour faciliter la participation du plus grand nombre. Nous explorons différents sujets, qui font l’objet de rapports, articles et recommandations : le point sur la pandémie de Covid-19, les addictions et dépendances, l’exercice de la dentisterie implantaire, les pathologies bucco-dentaires du sujet âgé : répercussions sur la nutrition et la qualité de vie, le dossier médical ou encore, en ce moment, le retraitement, le numérique… Nous collaborons également régulièrement avec la Fondation des gueules cassées et les autres académies de Santé (Sciences, Médecine, Chirurgie, Pharmacie, Vétérinaire…). Une prise de hauteur nécessaire, face à notre profession qui évolue en permanence !

Général

Dernières actualités

04
Sep
2025

La vie des départements

Les derniers événements organisés par les CDF à travers la France et au-delà témoignent d’un engagement constant pour accompagner les

lire la suite

03
Sep
2025

Universités d’Été 2025 : le programme complet

Rendez-vous incontournable de la profession, cette 9ᵉ édition sera consacrée aux innovations en santé orale. Durant trois jours, praticiens, experts

lire la suite

28
Août
2025

Un même bateau pour tous !

Pendant sept jours, une centaine de participants – dont une trentaine d’adhérents aux CDF – ont embarqué pour une aventure

lire la suite

28
Août
2025

TVA : les résultats de l’enquête nationale

lire la suite

28
Août
2025

 Culpabiliser et punir

On comprend facilement les causes de l’échec qui confine au désastre (taux de participation de 37 % au cours des

lire la suite

28
Août
2025

Les CDF saluent un rapport ambitieux pour la réforme du troisième cycle des études odontologiques

Le rapport conjoint IGÉSR-IGAS sur la réforme du troisième cycle des études odontologiques vient d’être rendu public. Les Chirurgiens-Dentistes

lire la suite