Il s’agit là d’un rendez-vous annuel entre nos trois organisations professionnelles, explique Charlotte Heuzé, conseillère technique déléguée au sein des CDF et directrice du CED depuis novembre 2022, à propos de la rencontre tripartite qui s’est déroulée à Rome le 31 mai. L’an dernier, nous nous étions retrouvés à Nice, après deux années d’interruption liées au Covid. » Côté CDF, outre Charlotte Heuzé, Pierre-Olivier Donnat et Alain Vallory, en tant que Président et Secrétaire général, ainsi que Julien Cardona, en tant que représentant des CDF au sein du Conseil européen des dentistes (CED), étaient présents. Les délégués italiens (ANDI) et allemands (BZDAK) venus participer aux travaux sont, eux aussi, tous impliqués au sein d’organisations dentaires européennes et internationales : le CED, la FDI et l’Organisation régionale européenne (ORE) de la FDI.
Soins transfrontaliers
Cette journée de rencontre a, une fois de plus, été l’occasion de soulever des problématiques rencontrées par les chirurgiens-dentistes sur le terrain et, bien sûr, de chercher des solutions communes(1). « L’ANDI a ainsi évoqué des cas de décès ou de mises en danger de patients italiens suite à des soins réalisés dans certaines cliniques situées dans des pays voisins tels que l’Albanie et la Croatie, détaille Charlotte Heuzé. L’inquiétude est d’autant plus grande que les règles encadrant la publicité ne sont pas les mêmes dans ces pays… et que certaines structures dentaires en profitent pour promouvoir leurs prix accrocheurs dans la presse, sur les réseaux sociaux… Et bien sûr, étant installés à l’étranger, les praticiens aux pratiques douteuses voire dangereuses peuvent difficilement être poursuivis ou signalés. » On retrouve ces risques, pour les patients français ou allemands, vis-à-vis de certains soins réalisés en Hongrie, en Roumanie ou encore, au Maghreb, par exemple. « Mais la situation semble encore plus préoccupante pour les patients transalpins », observe-t-elle.
Transmissions des cabinets
Autre constat : la difficulté de cession des cabinets dentaires dans de nombreuses régions comme en France. « Les Italiens estiment que d’ici 5 à 10 ans, dans leur pays, un cabinet sur deux pourrait fermer sans trouver de repreneur… », poursuit-elle. En cause : une implantation dans une zone considérée comme isolée… ou encore, une difficulté, pour les jeunes praticiens, de trouver le financement adéquat pour racheter un cabinet. « L’ANDI a donc développé un outil d’évaluation de la valeur réelle des cabinets dentaires, reposant sur un algorithme assez fin intégrant de nombreux facteurs : le chiffre d’affaires, le nombre d’employés, la localisation du cabinet, la patientèle… mais également la nécessité d’accompagner et de pérenniser les équipes dentaires déjà en place, par exemple, qui est une mission à part entière à prendre en compte en cas de rachat de structure. L’outil, très intéressant, permet de proposer aux établissements bancaires un dossier complet pour déposer une demande de prêt. » Voilà de quoi inspirer les pays voisins.
Formation initiale
« La question de la formation initiale est aussi source de préoccupation, poursuit la conseillère technique déléguée au sein des CDF. Le nombre de praticiens actuellement formés n’est pas suffisant pour combler l’ensemble des besoins de soins dans nos pays respectifs ni pour compenser les départs en retraite et, en prime, l’absence de contrôle de la qualité de la formation théorique et clinique dispensée au sein de certains instituts européens inquiète. La très récente mise à jour de la directive européenne sur les Qualifications professionnelles est bienvenue mais très clairement, à nos yeux, elle ne va pas assez loin. » La liste des matières que les étudiants en odontologie doivent avoir abordées durant leurs études pour voir reconnaître automatiquement leur diplôme au sein de l’UE a été complétée. En revanche, les types d’actes devant être maîtrisés ne sont pas précisés. De plus, seule une « expérience clinique appropriée sous supervision adéquate », sans autre précision, est exigée. « C’est un point sur lequel il faudra revenir dès que possible », insiste Charlotte Heuzé.
Quel lobbying possible à l’avenir ?
Enfin, le contexte politique actuel a été débattu. Au vu des résultats des récentes élections européennes, les grands équilibres demeurent et les partis traditionnels – les conservateurs (PPE), les socialistes (S&D) et les libéraux – conservent une majorité confortable au sein du Parlement européen. La composition et la politique de la Commission européenne devraient peu changer. Cela reste toutefois à confirmer et, par ailleurs, la manière dont cette politique sera reçue dans les États membres de l’UE, au sein desquels les partis conservateurs et/ou nationalistes sont de plus en plus prégnants, reste incertaine. « La démographie médicale restera, sans doute, une préoccupation majeure au sein de l’UE mais la transition écologique, par exemple, sera-t-elle toujours soutenue ? À l’avenir, comment les États s’empareront-ils de ce type de dossiers et comment nous, en tant qu’organisations professionnelles nationales ou européennes, porterons-nous les sujets qui nous tiennent à coeur et mènerons-nous désormais nos actions de sensibilisation et de lobbying ? Seul l’avenir le dira… », conclut le docteur Heuzé.
Charlotte Heuzé
Conseillère technique déléguée au sein des CDF, directrice du CED
(1) Il y a actuellement, pour précision, 43 000 chirurgiens-dentistes en exercice libéral en Italie, 45 000 en Allemagne et 37 000 en France.