Soigner son alter ego ne sera jamais un échange exclusivement économique.
Depuis plusieurs mois, les agents des DDPP1 inspectent les cabinets dentaires dans le cadre d’une enquête nationale « relative à l’information des consommateurs lors de la réalisation de soins dentaires ». Il s’agit de contrôler la conformité de nos pratiques avec les exigences légales en matière d’information du patient : l’affichage des honoraires, l’obligation du devis, avec le modèle conventionnel lorsque le traitement prévoit un dispositif médical sur mesure (DMSM), la communication de la fiche de traçabilité et de la déclaration de conformité après la pose du DMSM, etc.
On constate parfois des aberrations dans les « manquements » relevés par les agents contrôleurs, comme l’absence de mention d’un « médiateur de la consommation » sur le site du cabinet dentaire ou le défaut d’information du patient lorsqu’il renseigne son numéro de téléphone, qu’il peut faire opposition au démarchage téléphonique via le dispositif Bloctel ! Mais la méprise la plus grave est celle où le procès-verbal de la DDPP indique que la fourniture de DMSM est une « vente » à laquelle doit s’appliquer la garantie légale de conformité de 2 ans… Bien sûr, le chirurgien-dentiste, professionnel médical, ne peut pas « vendre ». La vente est une pratique commerciale prohibée par les principes déontologiques fondamentaux. Les droits européen et français qualifient d’ail-leurs la réalisation d’un DMSM de « prestation de service médical », ce que la cour de cassation ne cesse de répéter depuis plus de quarante ans !
Mieux, si la finalité de la répression administrative est de protéger les droits du « consommateur », la prestation de service médical, telle qu’encadrée par le code de la santé publique, offre au patient bien plus de protections que ne le ferait la garantie de conformité prévue pour la « vente » dans le code de la consommation. Au-delà du débat juridique, il nous faut souligner la dérive consumériste qui n’a de cesse, depuis plus de vingt ans2, de déshumaniser froidement la relation médicale. Alors que notre droit s’est forgé, au cours des dernières décennies, un impressionnant arsenal répressif contre les professionnels de santé qui n’existe pour nulle autre catégorie professionnelle, on continue à croire qu’il faut pousser encore plus loin ce droit de la méfiance envers le professionnel de santé, soupçonné de menacer la liberté du « consommateur ».
Soigner son alter ego ne sera jamais un échange exclusivement économique qui dénature l’acte médical y faisant s’évanouir les exigences éthiques et déontologiques. Le traitement par un dispositif médical sur mesure, conçu pour remplacer un organe, ne sera jamais une vente. Autrement, nous serons dans l’antichambre de la vente d’organes, là où il faudrait accepter une disqualification totale du corps humain, pourtant sanctuarisé par deux millénaires d’humanisme médical, et le réduire à un assemblage d’objets qu’on achète et qu’on vend ! Nous n’avons pas choisi d’acheter et de vendre, nous avons choisi de soigner.