L’heure des comptes du leurre discount
CDF Mag 2126-2127 du 3-10 juillet 2025
Moult fois dénoncés par les CDF, les centres de santé dentaire low cost révèlent aujourd’hui leur incurie. Scandales financiers et sanitaires, avec des milliers de patients abandonnés sur le carreau, les fermetures administratives des centres s’enchaînent depuis leur floraison partout en France et surtout dans les zones surdotées !
Le 16 juin 2025, l’Assurance maladie a annoncé « déconventionner sept centres de santé dentaire d’un même réseau. Cette mesure (…) sanctionne des pratiques frauduleuses dont le préjudice global est estimé à près de 3 M€. »
Depuis 2023, ce ne sont pas moins de 61 de centres de santé qui ont été déconventionnés. La fraude des centres, pour les deux seules années 2023 et 2024, atteint 90 M€. Ces chiffres sont très largement en dessous de la réalité. Si l’on considère les difficultés de contrôler les centres, la longueur des procédures, le manque de moyens de l’Assurance maladie avec de moins en moins de praticiens-conseils, ces fins connaisseurs de la nomenclature et des mécanismes de facturation, on peut estimer à plus du double l’ampleur de la fraude des centres.
Détournement du concept social, prélude au détournement financier
La loi du 21 juillet 20091 avait supprimé l’agrément préalable à la création de centres de santé associatifs dans l’optique de favoriser leur développement sur le territoire national, croyant ainsi améliorer l’accès aux soins. Cette « libéralisation » a fait éclore des « vocations sociales et philanthropes » dans des milieux très variés : un couple de prothésistes à la retraite, un groupe d’émigrés turcs, un employé de maintenance dans une mairie, un plombier parisien, des fournisseurs de produits dentaires, etc. Bien sûr, des investisseurs ont été sollicités et nombreux sont ceux qui, de bonne foi, se sont fait piéger par une présentation magnifiée d’un modèle économique qui aurait une rentabilité à deux chiffres !
Toutes ces vocations avaient un dénominateur commun : exploiter commercialement les soins dentaires et dégager des bénéfices financiers. Dans de nombreux centres, les promoteurs ont visé ces bénéfices, quels que soient les moyens.
Premiers résultats : les scandales sanitaires
Dès les premières créations « associatives » suivant la loi HPST, les CDF avaient alerté les pouvoirs publics et chaque dérive a été rapportée au ministère de la Santé. Ils avaient souvent droit à des hochements de tête condescendants pendant que l’exploitation des plus démunis s’organisait.
Pourtant, les conséquences de la libéralisation des centres de santé étaient régulièrement rapportées par divers médias, dès les premiers constats. « Dentiste low cost : vraie arnaque ou bonne affaire ? » s’est demandé Le Point du 1er mars 2012. « Une mine d’or dans la mâchoire des pauvres » avait répondu Le Canard Enchaîné, le 7 mars 2012.
Le premier scandale d’envergure nationale – Dentexia – éclate en 2014. L’association est mise en liquidation en 2016 et l’errance de milliers de victimes déboussolées commence. En juillet 2016, un rapport de l’IGAS, commandé en urgence par le ministère de la Santé, montre l’envergure de l’exploitation de la misère et des pratiques qui s’assimilent à l’escroquerie. Dentexia faisait payer d’avance l’ensemble des soins et proposait des crédits bancaires pour les financer. Personne ne retrouvera les millions d’euros soutirés aux milliers de patients crédules, aussi l’État mettra-t-il la main à la poche pour financer, à hauteur de 30 M€, les soins des victimes de Dentexia. Mais, même si le mémorandum de la CNSD sur les centres low cost est repris dans le rapport de l’IGAS, les décideurs publics restent sourds à nos propositions et laissent faire cette anarchie de la création des centres de santé, n’importe où (et surtout pas dans les zones démographiquement déficitaires), par n’importe qui, sans la moindre garantie de responsabilité ou de sécurité sanitaire…
D’autres scandales ont naturellement suivi : Addentis, DentalAccess, Proxidentaire… avec leurs lots de victimes et une incroyable lenteur à poursuivre les dirigeants tapis dans l’ombre qui ont profité de montages illégaux ou ont sciemment organisé l’exploitation commerciale des patients.
Le modèle économique introuvable
En mai 2023, les centres de santé Cosem (une quinzaine, avec des financements par des fonds publics) sont placés en redressement judiciaire, avec des suspicions de fraude, d’escroquerie et d’abus de confiance. Le 14 mars 2024, c’est Dentifree, un important réseau de centres dentaires low cost, qui a annoncé sa fermeture, après neuf ans d’existence. Un coup dur pour les patients en cours de traitement. Les administrations se réveillent peu à peu, avec la promulgation de la loi du 19 mai 2023 (loi Khattabi, rétablissant l’agrément préalable à l’ouverture d’un centre dentaire). Les fermetures s’accélèrent et le 10 juin 2024, la fermeture de six centres de santé de la Croix-Rouge est annoncée. La direction justifie la mesure par l’accumulation des pertes financières et un déficit cumulé de 48 millions d’euros pour les six centres. En somme, la crise de croissance des centres dentaires (Le Figaro, 7 juin 2023) n’est une surprise que pour ceux qui ont cru que le modèle des chiffes low cost était transposable aux soins médicaux bucco-dentaires. Chaque fermeture laisse des milliers de patients sur le carreau et les instances publiques (ARS, CPAM) se tournent vers les libéraux pour assumer le résultat de l’inconséquence des décisions publiques !
La fraude pour seul moyen de survie
Que reste-t-il du modèle des centres low cost ? Certes, la mercantilisation permet encore à plusieurs centaines de survivre, avec des difficultés de recrutement et une opacité totale de leurs comptes. Certains réussissent peut-être à survivre avec des pratiques honnêtes, loyales, respectant la loi, les droits des patients et la liberté thérapeutique des soignants. Quel est leur modèle économique rentable ? On aimerait le voir pour y croire.
En attendant, les seuls centres survivants de cette grande esbroufe de la libéralisation et dont on entend parler, ce sont des fraudeurs !
Ni responsable ni coupables
Dès les premières créations de centres low cost en 2010-2011, les infractions ont été connues de tous et les CDF ont recueilli de nombreuses réclamations de patients et de chirurgiens-dentistes qui témoignaient de pratiques illégales.
Plus d’une dizaine de fois, les CDF ont demandé à l’État le retour à l’autorisation administrative préalable à l’ouverture d’un centre de santé dentaire. Les colonnes du CDF Mag témoignent qu’à chaque occasion législative, ils ont rédigé des textes d’amendements allant en ce sens, motivés par la protection de la santé publique.
Malgré les efforts inlassables des CDF, malgré la clarté du rapport de l’IGAS de juillet 2016 (« Enquête sur le scandale Dentexia »), et de janvier 2017 (« Le fonctionnement des centres dentaires low cost »), la machine à tricher a continué à tourner à plein régime… Les pouvoirs publics, avec une pure naïveté coupable, refusaient d’instaurer un contrôle des centres alors que les scandales se multipliaient !
Les efforts des CDF ont fini par aboutir avec la loi du 19 mai 2023 (visant à améliorer l’encadrement des centres de santé) qui a rétabli l’autorisation préalable et renforcé le contrôle des centres.
Mais, durant toutes ces années, on a laissé faire malgré les mises en garde et les démonstrations sur les mécaniques de la fraude par les CDF. Au nom d’une déréglementation prétendant améliorer l’accès aux soins, on a laissé s’installer des structures de délinquance organisée, exploitant les patients sinon fraudant la Sécurité sociale ! Qui est le responsable de ce fiasco ?
Par Marc Sabek 1er vice-président