Lorsque la volubile Hadia Decharrière évoque son parcours singulier, elle embarque son auditeur dans une multitude de territoires. Ceux où elle a grandi dans les années 80 : Damas, Cannes et San Diego. Il y a aussi le territoire de l’intime : la mort de son père alors qu’elle n’a que 6 ans, l’absence d’une mère endeuillée… Et il y a ces territoires qu’elle investit au quotidien, de l’ambiance feutrée d’une séance de dédicaces en librairie à son cabinet dentaire en plein cœur de Paris. « Hasard ou destin, la réponse n’est pas simple », écrivait le romancier Joseph Kessel. Une formule qui sied bien à l’itinéraire de la Franco-Syrienne qui trace sa carte des possibles.
Vocation « fulgurante »
Car très vite, son « truc », c’est la relation avec le patient. Et 20 ans plus tard, « cela occupe toujours une place pré-pondérante dans mon exercice, explique-t-elle. J’ai besoin de créer du lien. Mes patients ont entre 2 et 102 ans. Je soigne souvent plusieurs générations d’une même famille. J’envisage mon exercice comme celui d’un chirurgien-dentiste de famille ». Ses tiroirs de bureau regorgent de faire-part envoyés par ses patients.
Hasard ou destin
Ces trois pages deviendront les trois premières pages de Grande Section, son premier roman dans lequel elle replonge dans ses souvenirs d’enfance pour faire revivre son père. « À cette même période, je contacte un oncle aux États-Unis pour lui poser quelques questions sur mon enfance, précise l’auteure. Au détour de la conversation, il m’apprend que mon père avait pour projet de monter des cliniques dentaires en Californie. Ce qui m’a amenée à m’interroger longuement sur le libre arbitre et la notion de transmission inconsciente ! »
Sur la piste littéraire
Depuis la publication de Grande Section, en 2017, elle n’a jamais cessé d’écrire puisant dans ce qui traverse sa vie, d’une manière ou d’une autre. En 2019, il y aura Arabe, « l’histoire d’une jeune femme qui se réveille un matin en comprenant et parlant soudainement l’arabe sans qu’elle en saisisse la cause, résume la Franco-Syrienne. Ce deuxième livre écrit pour ma fille m’a aidée à me sentir légitime dans le monde littéraire. » Il a d’ailleurs été en lice pour le prix Renaudot. Pour sa troisième œuvre, Formol, elle s’est nourrie de ses études de médecine et de psychologie pour explorer des vies intérieures. L’ouvrage a déjà les honneurs de la critique.
À la croisée des chemins
Un quatrième roman est en cours de rédaction. « Dès qu’un livre est terminé, je replonge dans l’écriture, confie le Dr Decharrière. J’en ai besoin. C’est presque physique. » Toutefois, cette lectrice invétérée, fan de Modiano, Toussaint et Duras, n’envisage pas de se consacrer entièrement à la littérature. « Peu d’écrivains vivent de leur écriture, indique-t-elle, pragmatique. Et je m’épanouis dans la chirurgie dentaire auprès de mes patients. Il y a quelque chose de complémentaire. » Il arrive que les deux univers se croisent. Comme lors de sa toute première séance de dédicaces dans une librairie parisienne où se presse une file immense « majoritairement composée de mes patients », se souvient-elle, amusée et émue. Et depuis qu’elle fréquente les salons littéraires, quelques noms d’écrivains se sont ajoutés à la liste de ses patients.