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La plume incisive

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25.01.24
À 44 ans, Hadia Decharrière signe, après deux succès en librairie, un troisième roman, Formol. Celle qui entame sa 20e année d’exercice en tant que chirurgien-dentiste navigue entre le littéraire et le dentaire, deux vocations qui se sont imposées à elle.

Lorsque la volubile Hadia Decharrière évoque son parcours singulier, elle embarque son auditeur dans une multitude de territoires. Ceux où elle a grandi dans les années 80 : Damas, Cannes et San Diego. Il y a aussi le territoire de l’intime : la mort de son père alors qu’elle n’a que 6 ans, l’absence d’une mère endeuillée… Et il y a ces territoires qu’elle investit au quotidien, de l’ambiance feutrée d’une séance de dédicaces en librairie à son cabinet dentaire en plein cœur de Paris. « Hasard ou destin, la réponse n’est pas simple », écrivait le romancier Joseph Kessel. Une formule qui sied bien à l’itinéraire de la Franco-Syrienne qui trace sa carte des possibles.

Vocation « fulgurante »

D’abord, il y a eu ce choix professionnel : la chirurgie dentaire, un domaine où personne ne l’attendait et dont elle ignorait tout. Bonne élève, elle vit l’école comme « un lieu d’épanouissement et de gratification ». Un repère dans une enfance bousculée. Au moment de choisir sa voie, elle vise les grandes écoles, boucle ses dossiers d’inscription pour HEC et Sciences Po mais ne les enverra jamais. « Je me suis réveillée un matin avec la ferme intention de devenir chirurgien-dentiste », raconte-t-elle admettant l’étrangeté d’un revirement qui ne trouvait pas (encore) d’explication rationnelle. Elle rejoint les bancs de la fac de médecine (Paris Cité) où elle tutoie les sommets du classement.
Une fois en dentaire, elle essuie une petite déception : le focus se fait sur le soin de la dent plus que sur le patient.
Car très vite, son « truc », c’est la relation avec le patient. Et 20 ans plus tard, « cela occupe toujours une place pré-pondérante dans mon exercice, explique-t-elle. J’ai besoin de créer du lien. Mes patients ont entre 2 et 102 ans. Je soigne souvent plusieurs générations d’une même famille. J’envisage mon exercice comme celui d’un chirurgien-dentiste de famille ». Ses tiroirs de bureau regorgent de faire-part envoyés par ses patients.
 

Hasard ou destin

À la trentaine, le Dr Decharrière s’est mise à écrire. Une autre fulgurance. « Comme pour la chirurgie dentaire »,dit-elle. Cette fois, c’est un soir, à l’été 2015. Elle peine à trouver le sommeil, se lève, rédige trois pages comme un exutoire. Il y est question de l’enfance et de son père mort, il y a tout juste trente ans. Elle a alors l’âge que sa mère avait à l’époque. « J’ai fait lire ces pages à mon mariet des proches qui m’ont tous encouragée à poursuivre. »
Ces trois pages deviendront les trois premières pages de Grande Section, son premier roman dans lequel elle replonge dans ses souvenirs d’enfance pour faire revivre son père. « À cette même période, je contacte un oncle aux États-Unis pour lui poser quelques questions sur mon enfance, précise l’auteure. Au détour de la conversation, il m’apprend que mon père avait pour projet de monter des cliniques dentaires en Californie. Ce qui m’a amenée à m’interroger longuement sur le libre arbitre et la notion de transmission inconsciente ! »

Sur la piste littéraire

Si la littérature est arrivée un peu sur le tard, la vie s’est tout de même chargée de lui laisser quelques indices. D’abord enfant, il y avait cette fascination pour la Comtesse de Ségur, ce goût prononcé pour l’exercice de rédaction et cette prof de français qui l’encourage à écrire. Idem lors de ses études en dentaire. « Un de mes enseignants m’avait conseillé d’écrire sur ma vie sans que je comprenne pourquoi. Tout cela m’est revenu avec l’écriture de mon premier roman. » Puis il y a la famille. Hadia Decharrière est née Hamzawi, comme Amro et Nora, ses frère et sœur, respectivement réalisateur et humoriste. « Chacun investit un art différent, observe-t-elle. L’art est un moyen de vivre la douleur et probablement, pour nous, un moyen d’expression inhérent à cette souffrance liée au manque du père, au déracinement… »
Depuis la publication de Grande Section, en 2017, elle n’a jamais cessé d’écrire puisant dans ce qui traverse sa vie, d’une manière ou d’une autre. En 2019, il y aura Arabe, « l’histoire d’une jeune femme qui se réveille un matin en comprenant et parlant soudainement l’arabe sans qu’elle en saisisse la cause, résume la Franco-Syrienne. Ce deuxième livre écrit pour ma fille m’a aidée à me sentir légitime dans le monde littéraire. » Il a d’ailleurs été en lice pour le prix Renaudot. Pour sa troisième œuvre, Formol, elle s’est nourrie de ses études de médecine et de psychologie pour explorer des vies intérieures. L’ouvrage a déjà les honneurs de la critique. 

À la croisée des chemins

Un quatrième roman est en cours de rédaction. « Dès qu’un livre est terminé, je replonge dans l’écriture, confie le Dr Decharrière. J’en ai besoin. C’est presque physique. » Toutefois, cette lectrice invétérée, fan de Modiano, Toussaint et Duras, n’envisage pas de se consacrer entièrement à la littérature. « Peu d’écrivains vivent de leur écriture, indique-t-elle, pragmatique. Et je m’épanouis dans la chirurgie dentaire auprès de mes patients. Il y a quelque chose de complémentaire. » Il arrive que les deux univers se croisent. Comme lors de sa toute première séance de dédicaces dans une librairie parisienne où se presse une file immense « majoritairement composée de mes patients », se souvient-elle, amusée et émue. Et depuis qu’elle fréquente les salons littéraires, quelques noms d’écrivains se sont ajoutés à la liste de ses patients.

Gersende Guillemain​

Évasion

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